PEDAGOGIE DE  L’ EDUCATION POUR LA VIE

 

L’Education pour la Vie se situe dans une logique de prévention du SIDA  par adoption d’un certain style de vie permettant aux jeunes de traverser la pandémie sans être atteint par le VIH et ainsi d’accéder à une vie adulte saine et, s’il se peut, heureuse. Elle est pour la vie, pour permettre de survivre.

 

Cette dynamique est une éducation et donc porteuse d’une pédagogie adressée à  des jeunes souvent en danger rapproché de contamination par le VIH au travers d’une conduite à risque.

Par « conduite à risque » on entend ici le plus souvent un comportement sexuel incontrôlé et au premier abord ressenti comme incontrôlable, donc dangereux et qui plus est en contradiction avec une gestion proprement humaine de ses pulsions. Dans la pratique cette éducation concerne tous le jeunes non informés – quelles que soient leurs croyances religieuses - y compris des jeunes dont la conduite n’est pas immédiatement « à risque » mais peut le devenir de par l’atmosphère ambiante prévalant en de nombreux milieux.

 

Notre attention se limite ici au contexte africain et à une option résolument éducative de la personne : « Le SIDA : une question d’éducation » comme l’indique le thème du  Forum.

 

 Que l’éducation de la personne soit essentielle à une politique de prévention à long terme  devrait ressortir des lignes qui suivent. C’est aussi une conviction de foi en l’homme. Il serait trop long de reprendre ici dans le détail l’historique de l’Education pour la Vie et ce n’est pas l’objet de cette étude. Disons seulement, en bref,  qu’elle est issue de la méthode thérapeutique du Dr Gérard Egan envers des clients dépendants de la drogue et de l’alcool et qu’elle a été reprise et adaptée au contexte de la compulsion sexuelle en milieu africain par deux  praticiennes Docteurs en médecine, vivant en Ouganda et de surcroît  religieuses.

 

Il y avait eu une première vague de stratégie préventionnelle du VIH/SIDA  en Afrique,  stratégie basée trop unilatéralement sur l’information et le « consumérisme », ne remettant pas en cause , au demeurant, les attitudes à risque. Ecoutons le Dr Rose Chalé, Tanzanienne, professeur au Centre Hospitalier Universitaire de Muhimbili, Dar Es Salaam. : « Que ce soit de façon explicite ou implicite, presque toutes les tactiques de prévention sont fondées sur une théorie. Le plus grand nombre est basé sur l’hypothèse qu’une information correcte sur la transmission et la prévention conduira à un changement de comportement. Or la recherche a maintes fois démontré que seule, l’information ne suffit pas pour induire un changement dans le comportement de la plupart des individus …ainsi au début de la pandémie du SIDA un gros effort fut accompli pour s’assurer que la généralité du public avait reçu une information suffisante sur la maladie…on insista fortement sur le rôle des médias, des affiches et des sessions destinées à faire passer le message. Tout cela était nécessaire.

Cependant comme il en arrive avec tous les programmes de santé publique, les années passant, il devint évident que ni l’information seule, ni la peur, ne suffisent pour amener une personne à changer son mode de vie. Il y faut plus. Le processus de l’Education à la vie est une tentative d’apporter ce plus et d’aider ceux qui ont déjà reçu une information sur le SIDA  à faire le pas décisif qui suit .

La prévention du SIDA est un appel à vivre, elle concerne la vie de la personne toute entière. Cette personne est un être sexué, pas simplement une personne dotée d’organes sexuels. Il en ressort que tout programme de prévention doit, pour être efficace, traiter de la vie toute entière de la personne. »

En effet l’information ne s’adresse qu’à l’intelligence dans sa zone la plus superficielle et à l’émotion, laquelle dans un monde truffé d’images émotionnellement fortes et disparates ne peut avoir qu’un effet transitoire. Les gadgets eux-mêmes ressortent du monde de la consommation et se heurtent en Afrique à des difficultés d’approvisionnement régulier, de stockage, de « self-control » permanent . ( Sept conditions  sont nécessaire d’après le CDC : Control Disease Center d’Atlanta pour un usage correct du préservatif) conditions qui expliquent leur échec dans une société non préparée et non adaptée à leur usage.

 

L’échec et parfois le rejet de cette première vague de prévention auprès de nombreux jeunes Ougandais a donc donné lieu à une réflexion plus approfondie portant en particulier sur la nécessité d’impliquer  la totalité de la personne concernée dans  la mobilisation de son vouloir vivre et de ses énergies nécessaire au succès. Comme le disait le philosophe T.Todorov : « Nos choix politiques et moraux sont décidés par notre volonté et non par  notre connaissance » (« Devoirs et délices : une vie de passeur », Seuil 2002).

 

Qui dit formation de la volonté dit éducation et donc pédagogie.

Nous proposons ici de développer cette pédagogie en tenant compte de trois axes fondamentaux essentiels à toute éducation :

I.                    le développement de la personnalité

II.                 la socialisation de la personne

III.               le sens de la vie ou la finalisation de la personne

Ces trois aspects  sont  entrelacés comme les fils d’un câble dans l’édification de la personne. Ils le sont aussi dans les paragraphes qui suivent.

 

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  1. Le développement de la personnalité insiste dans  cette pédagogie  sur la confiance en soi. A travers les « life skills » ou « techniques de vie », la session d’Education pour la Vie éveille la capacité de  passer du « je ne peux pas » au « je vais essayer ». .

Ce pas va  de pair avec une découverte de mes dons ou charismes,  je découvre que « je suis unique », « je mérite d’être aimé », « je mérite qu’on me choisisse » et à l’occasion « qu’on m’attende »

Prise de conscience de soi qui peut impliquer  la reconnaissance de son état actuel de dépendance, de ses failles. J’ai perdu une partie de ma liberté.

Car, oui, j’ai mon libre arbitre, la capacité de choisir mais parfois mes repaires se sont obscurcis et j’ai ligoté ma liberté dans tel ou tel domaine. Je dois  reconnaître la vérité du fait pour pouvoir recouvrer ma liberté intérieure. Ce que je croyais force était faiblesse.

Les témoignages des autres qui sont passés par là vont m’encourager à retrouver cette pleine liberté qui fera le succès de ma vie, me rendra le contrôle de moi-même. Un contrôle désormais conscient de son conditionnement et je sais qu’il faudra compter avec cette limite – propre à la condition humaine- pour gérer ma vie avec prudence : percevoir cela c’est déjà entrer en maturité.

  1. Mais il faudra durer : « toute action pour être efficace doit être cohérente dans la durée » (Yves Bonnet : Les neuf fondamentaux de l’éducation), d’où la nécessité de compléter l’action initiée durant la session d’Education pour la Vie ( ou Changement de Comportement) par un groupe positif d’accompagnement (« positive pressure peer group » Miriam Duggan) , ouvert à ceux /celles qui le désirent. Il ne s’agit pas ici à proprement parler de « groupe de thérapie » dans la mesure où la perte de contrôle de la pulsion sexuelle n’est pas une dépendance physiologique comme celle de la drogue ou de l’alcool, mais un groupe d’éducation mutuelle, groupe d’encouragement amical. C’est de ce type de groupe que les jeunes de Kampala ont dès le début ressenti la nécessité. C’est alors qu’ils fondèrent le Club « Jeunesse Vivante / Youth Alive » en 1993.
  2. Et la durée elle-même a besoin de s’appuyer sur des principes , une « philosophie de l’action », au sens empirique du mot, qui restera la boussole de la vie. Il faudra « de la suite dans les idées », une cohérence qui, dans la dernière phase de la session d’Education pour la Vie, va inventer une « politique d’action », prévoyant des objectifs à moyen terme : obstacles à faire sauter, recherche d’alliés, évaluation des moyens à mettre en œuvre etc.
  3. Une « philosophie de l’action » suppose à son tour un idéal de vie, des valeurs reconnues  comme vivifiant cet idéal. Dans le contexte où nous nous plaçons il s’agit essentiellement de valeurs spirituelles au sens large du mot c’est à dire communes aux grandes religions, une « référence à un pouvoir spirituel » ( Kay Lawlor) qui vient d’au delà de nous mais nous accompagne, auquel nous pouvons avoir accès. Cette référence semble essentielle pour assurer la continuité du nouveau style de vie, elle inclut  « le souci de l’autre, l’amour, la foi, la famille et l’amitié, le respect pour les personnes et les cultures, la solidarité et le soutien mutuel ». (Déclaration de Convictions, Dakar 1991). Elle suppose aussi une certaine notion de la nature humaine, que le corps n’est pas constitué - créé - pour faire n’importe quoi. Et la confiance que ces valeurs sont un chemin de bonheur et d’épanouissement dans lequel il vaut la peine de s’engager.

 

  1. Si l’information et la connaissance ne suffisent pas à elles seules elles sont cependant un élément indispensable de l’éducation et font partie de la socialisation de la personne.. Celle-ci pour survivre doit connaître le milieu dans lequel elle va croître. D’où des causeries d’information proposées sur des thèmes adaptés à la situation :

-                    le SIDA, sa transmission,,,, les infections sexuellement transmissibles

-                    Le sens des années d’abstinence positive (chasteté) dans l’attente et la préparation au choix d’un partenaire auquel on donnera sa vie.

-                    Les amitiés : à quelles conditions peuvent –elles s’épanouir en une relation heureuse, apaisée.

-                    Un brin de psychologie élémentaire du garçon et de la fille.

-                    Des éléments de physiologie masculine et féminine incluant des connaissances des rythmes de vie chez la femme, avec quelques sessions  réservées aux filles.

-                    le préservatif et sa fiabilité.. relative, sa signification anthropologique.

-                    L’avortement : ce en  quoi il consiste réellement.

 

 

 

  1. Le fer de lance de l’Education pour la Vie est la session longue (5 à  6 jours, résidentiels) dite Changement de Comportement.( On peut utiliser au besoin un autre vocabulaire comme « Education pour la Vie », là où il fait difficulté). Elle vise au changement de comportement et pour ceux et celles qui n’en ressentent pas le besoin elle est une occasion magistrale d’éducation sexuelle ouverte et franche. Cette session comporte trois grandes étapes :

Ø      Explorer la vie :

¨      1a   raconter la vie (du milieu de vie en général)

¨      1b   raconter la vie sexuelle (du milieu)

¨      1c    causeries d’information  (voir plus haut)

Ø      Faire appel à des buts alternatifs

¨      2a    Où cela nous mène-t-il ?

¨      2b  comment je rêve ma vie de demain

¨      2c   d’autres comportements sont possibles, le sont-ils pour moi ?

Ø      Faire des choix et s’engager

¨      3a  Que faire ? Que pourrais-je essayer ?

¨      3b  Je planifie, je prévois difficultés et alliés.

¨      3c  Je décide : je me lance !

( Le processus est développé en détail dans le livret Education pour la Vie de Kay Lawlor, en anglais et en français).

La méthode est celle de petits groupes travaillant sur des questions et rapportant au grand groupe. La session est agrémentée de chants, discussions, jeux de rôle, méditations, prière etc.)

 

 

7.      Dans un deuxième temps, dans des séminaires de  perfectionnement postérieurs à la session « initiatique » la démarche pédagogique proposera une réflexion plus poussée portant sur les points fondamentaux de l’éducation :

a)      Comment vivre ma vie

·        Me comprendre moi-même

·        M’estimer

·        M’affirmer ( savoir dire « non », comment…)

·        Gérer mes émotions /stress

 

b)      Comment vivre avec les autres

·        empathie /compassion

·        me lier d’amitié

·        résoudre une situation conflictuelle (gérer le dilemme d’accès à l’embauche, d’admission en classe supérieure pour les filles etc..)

·        résister à l’opposition des « pairs » :camarades

·        comment trouver un accord

·        questions de communication (active, passive, critique face aux médias)

c)      Comment prendre des décisions

·        Se fixer des objectifs

·        Comment décider

d)      Famille et éducation

·        Préparer une famille

·        Qu’est ce que ma famille attend de moi ?

·        Que répondrai-je si…

·        Vivre avec ses parents

·        Procréer avant le temps

·        Suis-je prêt à être papa / maman ?

 

Toute cette réflexion est  abordée selon un mode interactif de jeux de rôles, d’exercices pratiques de réflexions mutuelles et de détente.

Les parents sont parfois associés à la réflexion en particulier dans les questions qui traitent de la famille.

 

  1. En résumé toute une éducation sexuelle et humaine ouverte aux questions actuelles et aux valeurs que la plupart des jeunes n’ont  pu avoir ni à la maison ni à l’école et qui est particulièrement indispensable dans l’atmosphère sociale ambiante.

Ouverte veut dire aussi franche, basée sur la vérité : le jeune a droit à toute la vérité, en termes de prévention comme dans les autres domaines. Il est aussi invité à parler sans contrainte.

 

  1. Cette éducation cependant suppose un idéal de vie, un but à l’existence, la « finalisation de la personne »

-          Savoir aimer, découvrir ce qu’est l’amour vrai et comment il suppose le respect de l’autre, de sa liberté, le pardon.

L’apprentissage de l’amour courtois est une étape importante de l’éducation affective et de la sexualité  humaine : la signification des gestes : se donner la main, le baiser, l’accolade mais aussi le geste de tendresse emprunt d’une retenue toute chargée d’amour. Toutes manifestations d’une affection sexuée mais non nécessairement sexuelle.

-                    Le sens de Dieu et du sacré dans l’être, y compris le caractère sacré du corps « temple de l’Esprit », respecté dans son fonctionnement naturel.

-                    L’importance du sport et sa pratique : il est forme d’appréciation du corps..

-                    Le  rôle et la dignité du travail manuel. L’importance de rechercher un emploi même pénible..

-                    La cohérence chez l’animateur (facilitateur) entre le dire et le faire, le message oral et le comportement de sa propre vie.

 

  1. On comprend dès lors que  la pédagogie de l’Education pour la Vie comporte comme première démarche d’entrée au Youth Alive / Club Jeunesse Vivante la participation à un séminaire d’Education à la Vie ( la session complète est de 6 jours) mais tout jeune peut assister aux réunions mensuelles avant de l’avoir faite. Cette session ou séminaire est en fait l’initiation au processus de changement. Celui-ci se prolonge normalement, selon le rythme personnel de tout un chacun par une promesse d’abstinence avant le mariage et de fidélité dans la vie de couple.

Un tel pas demande souvent un temps d’essai de ses forces et de maturation dans la décision. Il ne se fait pas sous le coup de l’émotion et donc pas durant la session, mais lorsque le jeune s’estime prêt de lui-même / elle-même, à faire le pas. Il comporte un entretien avec l’éducateur.

 

11.       Cette éducation comporte –t-elle des échecs ?

-          Le mot n’a pas vraiment de sens en anthropologie, la croissance de la personne s’effectuant souvent en zigzags, avec, malgré, ou grâce à, des échecs temporaires, parfois multiples. Mais : « l’on n’a jamais échoué tant que l’on continue d’essayer ».( K. Lawlor)

Il est bien évident qu’un changement aussi radical que celui qui est proposé demande du temps, des étapes parfois. Un manquement occasionnel n’est pas un échec en soi du moment que l’on reprend la route.

-                    On aura de toutes façons, dans la plupart des cas, utilisé son jugement pour éviter le pire c’est à dire le risque évident dans lequel tomberait un sujet qui n’a jamais été éduqué à « se servir de sa tête » pour savoir qui il rencontre.

-                    On évitera aussi dans les meilleurs cas l’aspect cumulatif du danger encouru lorsqu’on s’installe délibérément dans un situation à risque.

 

12        Comme indiqué plus haut la méthode est toujours interactive, les animateurs sont des jeunes qui font appel à l’expérience d’autres jeunes, participants de la session dans un  premier temps et du Club plus tard . De cette interaction très libre les jeux de rôle, les chants, les exercices de détente, les danses, comme plus tard les sorties ensemble naît une atmosphère de joie et d’enthousiasme qui est  un des atouts majeurs de la diffusion de ce type de campagne de prévention.

Cet enthousiasme explique l’effet « boule de neige » qui est la meilleure réponse à l’accusation d’élitisme parfois entendu. Or de même que le VIH se répand individuellement d’un individu isolé à un autre et pourtant avec une vitesse extrême, ainsi l’ « antivirus » qu’est l’Education pour la Vie se répand –t-il très rapidement d’un groupe à l’autre comme une bonne nouvelle de bouche à oreille, une croissance exponentielle comme l’ont montré les statistiques de l’Afrique de l’Est, les expériences des éducateurs qui ont essayé et le succès même du site Internet en contact aujourd’hui avec un vingtaine de pays        d ‘ Afrique : http://youthalive.free.fr  . D’autant qu’elle ne demande ni argent ni matériel de l’individu concerné et c’est ce qui fait son adaptation au pauvre : elle le rend fort.

 

 

CONCLUSION

 

La barre est haute, convenons–en, elle demande de l’audace chez l’éducateur.  Mais c’est précisément ce qu’au plus profond de  lui-même le jeune attend et désire. C’est pour quoi cette pédagogie est si humanisante. «  la tâche de l’homme est de constamment humaniser » (Varillon).

Education qui  atteint bien au delà de la simple prévention du SIDA ou d’une survie au rabais puisqu’elle prépare déjà « l’après SIDA » une nouvelle génération, qui n’offrira pas un terrain propice –autant que faire se peut- à de nouveaux virus et de nouvelles détériorations de l’organisme, virales ou non, mais qui construit des personnes capables de fidélité, de respect des valeurs, de fonder une famille et d’exercer dans la société des fonctions sociales avec intégrité. En définitive une capacité d’atteindre à un bonheur vrai, ce bonheur qui s’obtient par la réalisation de soi.

La balle est dès lors d’abord dans le camp de l’éducateur : sera-t-il (elle) capable de faire confiance au jeune, à l’homme en définitive ? Ce point est essentiel car s’il y a les techniques il y a aussi et surtout les attitudes. Il est indispensable que le jeune croie que l’éducateur l’estime capable de réussir, plus encore que lui même ne le pense aux moments de déprime ou de difficultés. Qu’il sente que l’éducateur est entièrement avec lui,  de son côté. Alors il se dépassera lui-même. Tâche exaltante entre toutes, association au dessein de Dieu sur les jeunes , œuvre

 de procréation spirituelle.

 

 Georges Marie LOIRE