La solitude, nouveau paradigme dans l’éducation des jeunes ?

 

Aliette de Clebsattel

 

Il y a de l’extraordinaire dans l’ordinaire !

Saint Jean-Paul II nous a aidés à prendre conscience de la vérité qui nous concerne et qui est contenue dans les premiers chapitres de la Bible.

L’éclairage qu’apportent les expériences originelles, en particulier la première d’entre elles, celle de la solitude, permet selon l’analyse qu’en offre Jean-Paul II dans la théologie du corps de mettre un nouveau projecteur sur ce que vit chaque adolescent à partir de la puberté.

Et si dans l’histoire de chaque adolescent se rejouait la mélodie originelle de la « Genèse » ?

L’expérience du commencement à l’adolescence rejoint mystérieusement l’expérience fondamentale de la création. Sexuellement mature dans la plénitude de la vitalité qui peut se transmettre, l’adolescent vit une recréation, en écho au premier don de l’origine. Son corps acquiert la faculté biologique et physiologique de transmettre la vie. Il découvre, à travers l’apparition des caractères sexuels secondaires, l’éveil de ses sens et l’acquisition de forces neuves, une conscience renouvelée de son corps.

Il est tellement différent d’avant qu’il ne se comprend pas lui-même : Qui suis-je ? Pourquoi me sentir si seul(e) ?

Ainsi se rejoue, en écho à l’expérience de la solitude originelle d’Adam, l’éprouvé d’une solitude intérieure aussi nouvelle et intense que douloureuse.

Mais cette expérience est d’autant plus difficile à vivre que le jeune adolescent est livré à lui-même et qu’il manque de réponses pour interpréter ces divers signes, dans un contexte où tout encourage à fuir ou contrer la solitude. Or si le sens d’une solitude que l’on pourrait qualifier de « bienheureuse » par ce qu’elle peut lui apprendre, lui échappe, l’adolescent deviendra l’adulte en exil de lui-même, inconsolable, seul et souffrant de l’être.

 

Permettre à l’adolescent d’accéder aux notes de cette mélodie inscrite au plus profond de lui devient alors un enjeu de l’éducation à l’amour. La révélation du corps et du sens de la solitude permettent en effet de nous situer dans le sol où nous sommes plantés, l’air que nous respirons, la lumière dont nous avons besoin : se déterminer comme personne, découvrir la vérité de la sexualité humaine, marcher vers son accomplissement.

 

Adam est d’abord seul en tant que personne, différent du monde qui l’entoure. Par son corps l’adolescent est comme l’homme dès le premier instant de son existence, à la recherche de son identité. Il se reçoit comme une personne dans une singularité tout à fait étonnante à chaque fois, fait à l'image et à la ressemblance de Dieu! Comme Adam réalise sa dignité d’image de Dieu, se reçoit et se découvre comme personne intangible et inaliénable, l’adolescent a ce pas à faire. Il se reçoit alors comme un don, se trouve lui-même, et découvre l’horizon de sa vraie liberté de partenaire.

 

S’« Il n’est pas bon que l’homme soit seul », il faut que la première solitude irréductible de la personne soit d’abord consentie pour qu’homme et femme découvrent l'aspiration profonde de leur être à se donner à une autre personne « qui leur soit accordée » : l’homme pour la femme et la femme pour l’homme. Ils sont appelés à se donner librement dans l’amour pour réaliser une image de Dieu dans la communion, plus encore que dans la solitude.

La promesse de bonheur offerte par la sexualité déçoit beaucoup d’adolescents désabusés, qui auraient besoin de découvrir cette signification de la communion exprimée par le langage du corps. La solitude n’est donc plus un refuge où se complaire, solitaire, à l’abri des autres, mais la préparation d’un espace intérieur où les autres pourront être reçus. L’expérience de la solitude, bien que subjectivement difficile, peut être ainsi un chemin vers l’autre.

 

Parents ou éducateurs nous sommes souvent désemparés devant le mal-être existentiel naissant à la puberté. Nous observons certains jeunes adolescents s’isolant dans leur tour d’ivoire ou la rêverie, d’autres incapables de supporter l’isolement, ou dans la peur d’être seulement avec eux-mêmes, ou souffrant secrètement d’une désolation intérieure même dans la présence d’êtres chers. Blessés par l’orgueil les adolescents nourrissent souvent aussi l’illusion que c’est dans l’autosuffisance qu’ils acquerront leur autonomie. Craignant les dépendances, ils rejettent facilement parents, maîtres ou Dieu, pour tomber dans un véritable asservissement à leurs envies.

S’il est confronté à ce désarroi intérieur sans outils pour lui en révéler le sens, nous voyons l’adolescent souffrir de plus en plus de la solitude car il intègre aujourd’hui des conditionnements qui rendent son interprétation de la solitude encore plus difficile. Plongé dans l’individualisme ambiant qui n’offre pas d’autre horizon que soi-même, il vit davantage la solitude dans une forme de détresse. Tout aujourd’hui encourage à contrer ou fuir cette solitude au lieu de l’incorporer. Les différentes addictions comme l’alcool et les drogues, mais aussi la livraison de son intimité sur les réseaux sociaux, être suspendu aux nombre de followers ou de supposés « amis » connectés, le surinvestissement au travail parfois, le jeu, une frénésie de sorties, la multiplication d’aventures amoureuses sont autant de dépendances en augmentation chez les adolescents qui recherchent à abolir le temps de solitude quand elle est pour eux synonyme d’angoisse. La solitude amène aussi l’expérience de la privation dans l’attente de pouvoir aimer et d’être aimé. Un hédonisme multiforme qui suscite les appétits de jouissance immédiate et touche tous les sens (la vue et l’ouïe avec les écrans, la musique et des clips hyper sexualisés, les gestes et le goût dans des expériences sensuelles et sexuelles précoces) incite les jeunes adolescents à ne pas différer une gratification, à ne supporter aucune frustration, et le consentement à la solitude de l’attente devient difficile.

 

Or la solitude consentie est ressource et chemin vers une triple alliance : avec Dieu, soi-même et les autres, car elle ouvre au don et à la communion. Jésus sauve. Sa lumière vient rendre possible le chemin que chacun a à faire et que le projecteur de l’origine avait découvert.

 

Ce chemin exige le consentement dans une certaine solitude du cœur. Ce consentement humain est une chose sacrée, il est ce que Dieu vient chercher comme un mendiant auprès des hommes, disait la philosophe Simone Weil. De même qu’Adam a eu besoin de la parole de son Créateur pour prendre conscience de sa dignité de personne, nous avons besoin des autres pour intérioriser le consentement à donner à ce que nous sommes et à la tâche que nous avons à accomplir comme homme ou femme.

Démunis face à la transmission et confrontés à un contexte culturel très défavorable, les parents devraient pouvoir trouver solidarité et soutien dans la communauté chrétienne, les paroisses, les collèges, les aumôneries, qui pourraient proposer le recours à un rite de passage dans cet évènement critique de la puberté vers une transition réussie.

Puisant dans les expériences d’autres cultures, mais imprégné aussi du sens de la solitude et de la révélation du corps et de l’amour dans le projet de Dieu, ce rite supposerait une importante préparation intérieure et antérieure de l’adolescent qui lui permette de s’approprier une pleine conscience de son identité et de ses responsabilités.

 

1) Le sacrement de confirmation à l’aube de la puberté -en fin de classe de 6ème par exemple- pourrait inaugurer un temps qu’il viendrait irriguer, donnant les provisions pour le voyage de l’adolescent. La vraie transformation est celle que le Christ lui-même permet à travers les sacrements. Le premier éducateur est l’Esprit-Saint ! Ce don de Dieu pourrait vivifier un processus de transformation et de préparation qui a un grand besoin du secours de la grâce. S’ouvrirait en 5ème une période de quelques 3 années pour structurer la croissance des adolescents, préparer avec eux la transition que le rite de passage lui-même viendrait valider autour de 15 ans.

 2) Les éléments d’un temps de révélation et d’initiation.

-Les étapes de préparation pourraient être accompagnées par un tuteur qui pourrait être un jeune plus âgé, ou le parrain ou la marraine de confirmation.

-Connaitre et fêter la splendeur du corps d’homme ou de femme pour-le-don, en lien avec le parent de même sexe. Connaissance des rythmes inscrits dans le corps de la femme. (Cyclo Show, Ateliers XY évolution, Teenstar…)

-Révéler le sens de la solitude originelle pour se trouver soi-même, s’accueillir comme un cadeau, fils ou fille d’un Père, inaliénable et libre pour se donner, avec le secours de la grâce (Apprentissage du silence, pèlerinages, retraites)

-Révélation de la beauté de l’amour sauvé (Théologie du corps pour les jeunes à développer)

-Renforcement du rôle du père, ou à défaut parrain, oncle ... (Week-end Père-fils, et imaginer aussi des week-end Père-filles...)

-Initiation par un engagement de service dans la durée, pour se transcender soi-même plutôt que transgresser et intégrer une mission.

-Choix de mettre ses pas dans ceux d’un modèle choisi par le jeune formant en lui une sensibilité spirituelle (saint, grand homme ou femme qui auront été présentés à la méditation des jeunes)

-Stimulation de la parole des parents vers leur enfant par une lettre.

-Lettre de déclaration du jeune à ses parents

-Un « carnet de route » ou « passeport », serait validé par le tuteur à chaque étape.

 

3) Aboutissement de ce temps de préparation, le temps du rite de passage en lui-même. Adossé à une profession de Foi ce rite serait aussi déclaration publique et solennelle d’engagement dans la vie d’homme ou de femme. Garçons et filles pourraient bénéficier d’un rite propre renforçant leur sentiment d’identité, au sein d’une célébration commune, devant des témoins sur lesquels le jeune aura besoin de s’appuyer pour être fidèle.

S’en suivrait un changement visible (Ajout d’un nom, voyage symbolique…) et un nouveau statut, une responsabilité attendue …

Et bien sûr une fête !

 

Cette réflexion pourrait être enrichie de contributions bienvenues :

mamilinet@gmail.com