LES SESSION CLER JEUNES : DE L’ADAPTATION INFANTILE AU DESIR ADULTE – CHEMIN DE CHANGEMENT, CHEMIN DE CROISSANCE

François est arrivé à la session CLER Jeunes, ce 19 août 2013, contraint et forcé par ses parents, nous dit-il. Tête baissé, résolument à l’écart, silencieux, il a décidé d’être là sans y être et il veut que ça se sache. Mais, me direz-vous…

C’est quoi au fait une session CLER Jeunes ?

Depuis 30 ans, chaque année à la fin du mois d’août, le mouvement du CLER-Amour et Famille offre à des jeunes de toute la France, jeunes de 17 à 21 ans, un temps, 5 jours de réflexion, dans un climat de respect, d’accueil bienveillant, un temps d’élaboration sur tout ce qui concerne cette transition si particulière de l’enfance à la vie adulte : oser être soi, mieux se connaître, savoir ce que je veux faire de ma vie, dépasser ses peurs, construire son intériorité, changer, évoluer dans ses représentations, que ce soit dans le domaine de la sexualité, de la relation aux autres ou de l’image que j’ai de mon corps, de ma place dans la société, dans ma famille. Accompagnés par une quinzaine de formateurs/animateurs, formés à l’écoute, à l’accompagnement, à la pédagogie active, chaque jeune peut trouver là l’occasion d’une évolution psychologique, psychique, spirituel, propre à faire ensuite des choix décisifs pour son avenir, à "agir", c’est à dire à modifier ses comportements, par une réflexion sur le sens et non par l’obligation craintive de la punition.

La progression pédagogique mise en œuvre tout au long de ces cinq jours et de ces deux années, puisque la session existe sur deux niveaux, le deuxième niveau étant plus centré sur le corps, cette progression pédagogique permet à chaque jeune de faire

·       un chemin de rencontre avec lui-même, d’accueillir son histoire, son identité sexuelle, ses compétences et ses fragilités,

·       un chemin à la rencontre de l’autre au travers de groupes de parole, de jeux, d’enseignements, de temps de créativité.

·       et enfin à la rencontre du Tout Autre par une journée d’intériorité.

Un chemin qui permet de se centrer sur soi, de se décentrer sur l’autre, de se centrer ensemble sur plus grand que soi, sur l’au-delà de soi au-dedans de soi. Comme le dit de si belle manière Maurice Zundel ("à l’écoute du silence") : « Ce ne sont pas nos viscères (notre biologie), en effet, qui fondent nos droits, mais la possibilité pour chacun de devenir le sanctuaire d’une Présence infinie…. ».

Notre François, dix sept ans, arrive donc à Troyes en Champagne, bien décidé à rester passif à défaut d’être entendu dans son refus, dans sa souffrance. Nous le retrouverons, à plusieurs reprises, isolé dans sa chambre, à l’écart du grand groupe. Au soir du deuxième jour, les deux animateurs de son équipe, après de nombreuses tentatives d’accueil, d’intégration, après bien des stratégies pour lui permettre d’avancer dans cette session, malgré lui et avec lui, font le constat d’une impasse. « Dès le premier jour l'attitude fermée de François m'a interpelé, je n'étais pas très à l'aise… je me demandais comment nous allions pouvoir le faire participer à quelque chose. Que ce soit en petit groupe ou en grand groupe, il s'excluait manifestement. Je n'ai pas vu d'amélioration si ce n'est, au deuxième jour, la discussion avec Elisabeth qui semblait avoir été "normale" : wouahou, Quel progrès ! Mais la veillée "expression" (une veillée festive au cours de laquelle chaque jeune va avoir à prendre la parole devant le grand groupe, à mettre en scène un texte qu’il aura préparé) n'a pas permis qu'il prenne plus sa place. Il a refusé la main tendue par sa petite équipe pour qu'il participe aux présentations des textes (textes travaillés dans la journée par des exercices d’expression orale). Au bilan de ressenti, j'étais à côté de lui, il faisait des petits pas en arrière pour s'exclure petit à petit du cercle : ECHEC ! ! !... Devant son absence de participation, je commence à me demander si le cas n'est pas trop lourd pour la session et pour notre petit groupe. J'envisage, et j'en discute avec Elisabeth, l'hypothèse d'un départ anticipé… ».

Les deux premiers jours de la session axés plus particulièrement sur "accueil de soi, estime de soi" seront donc sans évolution notable sur le blocage de François. Au troisième jour, le thème traité, pour les jeunes qui sont dans leur première année, porte sur la sexualité. « Quand il prend connaissance du sujet, notre petit groupe travaille alors sur les panneaux confectionnés ensemble sur le thème "relations hommes/femmes", un travail de créativité par l’image, qui permet à chacun de prendre conscience de ses représentations concernant la sexualité et  les relations hommes/femmes. Je l'aborde alors avec naturel. Je me dis que je n'ai pas grand chose à perdre, et je lui demande si ce n'est trop lourd pour lui le petit groupe de parole ? Réponse : « non ! ». Si le sujet du jour lui déplait ? Réponse : « absolument OUI, je ne peux pas en parler c'est tout, c'est juste impossible ». Ce qu’a vécu François dans son approche de la sexualité, tout au long de son histoire personnelle, nous n’en saurons rien. Ce nouveau refus au troisième jour de session sera-t-il le point de rupture définitive, de non-retour ? Nous faut-il nous rendre à l’évidence et contacter les parents de François pour envisager son retour au domicile ? Ces questions sont posées ce même soir avec toute l’équipe d’encadrement qui prend conscience que jusqu’alors, pour François, nous sommes nous, l’équipe d’animateurs, la continuité de ses parents avec lesquels la relation est bloquée. Donc, nous mettre en lien avec ses parents, ramener François à ses parents… surtout pas ! Nous relayer entre animateurs dans la relation avec lui pour préserver à tout prix le dialogue et changer le face à face conflictuel avec les parents, poser un autre regard sur lui, aménager le programme sans vouloir le mettre au pas du grand groupe, éviter à tout prix l’exclusion, la stigmatisation, lui permettre d’exprimer pleinement son refus, seront les options prises pour la suite de la session. « J’ai réalisé après l'importance de ce NON, ce qui apparemment était un échec était en fait une prise de place ! ». Dire "NON" pour prendre "NOM". Dès le lendemain, les fruits de ce temps de supervision d’équipe se font sentir. François se montre moins opposé, accepte les aménagements proposés et les contretemps de la gestion générale de la journée. Je passe un long temps de parole avec lui, moi qui ne suis pas directement impliqué dans l’animation de son groupe. Les deux tiers de cet entretien porteront sur sa vie à lui, ses passions, ses connaissances culturelles, cette première année d’études supérieures, puis peu à peu sur ses relations personnelles, amicales, dont celles très conflictuelles avec ses parents qui, me dit-il, ne l’acceptent pas tel qu’il est. Ce ne sera qu’au bout d’une demi-heure d’entretien seulement que son regard va rencontrer le mien puis son esprit peu à peu s’intéresser à son tour à ce que je représente, en l’occurrence quelque chose de l’ordre de l’altérité, de la possibilité d’une alliance en sa faveur, d’un accueil total de ce qu’il vit, de ce qu’il traverse, d’une autonomie de penser, d’une certaine identité construite. Il parlera alors, comme la veille avec l’un des ses animateurs, de ses difficultés relationnelles, de ce qui l’handicape, de la relation à ses parents… (« Il commence à m'expliquer 2, 3 petites choses de sa vie, de sa relation avec ses parents, nous avons une grande discussion très naturelle, il me parle de lui même de sa souffrance, il me dit même qu'il aime ses parents, qu'il sait bien qu'ils font ça par amour mais qu'ils ne le comprennent pas, que chaque échange entre eux est une engueulade… »). Lui qui se sera exprimé comme essentiellement intéressé par l’intellect, la culture, lui, si mal à l’aise avec le physique, le corps, le sport, viendra me rejoindre ensuite, à sa façon, à distance, dans une partie de foot énergique avec d’autres jeunes de la session. Notre regard posé sur l’homme qu’il est, et non pas sur l’enfant pris dans les contradictions des attentes parentales, semble créer une ouverture en lui.

La suite confirmera l’intuition de l’équipe : « Au temps de petit groupe en début d'après midi Chantal prend la parole en premier pour dire sa joie d'avoir discuté avec François. Il l'a coupe pour s'excuser d'avoir trop parlé, on croit rêver ! Tout le groupe se marre d'un rire soulagé d'avoir trouvé le 9ème élément (les petits groupes de parole sont constitués chacun de huit à dix jeunes). Les questions fusent pour reprendre son temps de silence et rattraper le temps perdu. Il joue le jeu (le JE) à fond. Nous avons trouvé François, là où il était, avec ce qu'il est ! Le soir en arrivant dans notre salle pour la veillée Totem, un des jeunes du petit groupe est en retard. On cherche alors à voix haute quel est celui qui manque. François nous dit : "pour une fois que ce n'est pas moi la chaise vide…" : énorme ! ! ! Il en est à rire de lui... Il participera à la veillée avec cette même sincérité, en parlant parfois de son "attitude stupide" du début de session (comme si c'était il y a 15 jours mais c'était la veille et l'avant-veille ! ! !). Tout le petit groupe est dans une certaine euphorie, moi je suis aux anges et ému de vivre une sorte de naissance, naissance de François, naissance aussi du fruit magnifique que ce petit groupe aura produit. Le lendemain pour la veillée création (une veillée au cours de laquelle les jeunes vont présenter un spectacle entièrement conçu par eux seuls. Ils auront eu la journée entière pour lr préparer) j'ai cessé personnellement de suivre François. Pour moi il était devenu comme chacun de ces jeunes et je n'avais pas de doute sur son implication à la journée créativité. Quel beau résultat le soir, une place prépondérante dans son sketch et une volonté affichée de participer pleinement ! On apprendra un peu plus tard qu'il a, ce jour là, envoyé un texto à ses parents pour évoquer une prochaine session en Blanc (le deuxième niveau de la session)… !!! »

En guise de conclusion, quelques simples remarques loin d’être simplistes mais fondamentales. La renaissance de François, pour reprendre les mots employés par son animateur, évoque la naissance psychique de l’enfant au cours de laquelle, dans la période du "non", il va, non pas s’opposer, mais expérimenter la possibilité de se différencier, la possibilité d’échapper au contrôle, aux attentes, à la maîtrise de l’adulte, et pour François, l’occasion de vivre comme une réunification de son corps biologique et de son corps psychique. La pédagogie de l’évolution, du changement, doit prendre en compte cette donnée psychique qui permet de rester toujours à bonne distance en écoutant ce "non" comme étant mouvement positif, pour le sujet, pour l’avènement du sujet, et non mouvement violent contre le pédagogue, contre l’accompagnateur, l’éducateur. Ce petit miracle de la session 2013 n’en n’est pas un. Le comportement de François a pu évoluer par la possibilité de l’équipe de prendre conscience de ce mouvement sans se dévaloriser dans sa fonction d’accompagnement et de pouvoir traduire la souffrance de François, un jeune adapté aux attentes des autres et du coup non acteur de sa vie, non créateur de son avenir, de son devenir. Par ailleurs, grâce à la relecture, la supervision, l’équipe a ainsi mis en œuvre, avec cohérence, ce message pédagogique qu’elle propose aux jeunes : vivre un "JE", différencié, sexué, en relation avec un autre "JE", et en évitant l’écueil  de répondre au rejet défensif par un même mouvement défensif (qu’aurait pu représenter le départ prématuré de François).