La relation homme/femme et le pouvoir de procréer :

Saint Paul revisité

Cigogne 5, Chardon 24 août 2006, jour de la Saint Barthélémi

 

 

Introduction

Ce qui m'intéresse, c'est de voir quelle part il faut faire à la culture dans les prises de position de Paul. Les commentateurs divergent énormément sur ce point. D'un côté, il y a ceux qui mettent toutes les difficultés des textes de Paul sur le compte de la culture, de l'autre, ceux qui reçoivent les paroles de l'apôtre comme Parole de Dieu, font remarquer que Paul se réfère à l'ordre de la création et que la subordination de la femme qu'il enseigne se base sur Genèse 2 et non sur Genèse 3. Cette subordination est donc incontournable puisqu'elle est fondée sur l'ordre de Dieu à la création.

Mais Paul est aussi celui qui déclare : « Il n'y a plus ni Juif, ni Grec; il n'y a plus ni esclave, ni homme libre; il n'y a plus l'homme et la femme; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus-Christ » (Ga 3.28). Cette dernière affirmation est-elle bien du même Paul qui écrit aussi « la femme a été faite pour l’homme » (1 Co 11.9) déclaration inacceptable pour de nombreuses femmes chrétiennes à qui Anne-Marie PELLETIER[1] répond avec pertinence, mais cette réponse suffit-elle à empêcher que le grand apôtre ne passe pour un odieux machiste ? Si  l'on ajoute l'exhortation aux Éphésiennes : « femmes soyez soumises à votre mari » et la lettre à Timothée qui concerne aussi l'Église d'Éphèse où l'apôtre ne permet pas pas aux femmes d'enseigner, cela fait beaucoup de contradictions à résoudre ! Est-il possible d’en sortir ?

Pendant longtemps et c'est à partir de ce point de vue que nous avons rédigé Famille, points de repère ?[2] J'ai soutenu que le motif central de la pensée de Paul est de défendre l'unité du couple et de refuser d'envisager l'homme sans la femme et la femme sans l'homme.

En rédigeant la partie de mon chapitre sur Paul et la culture de son temps, j'ai buté sur le texte de Corinthiens 11 car si je ne parvenais pas à résoudre le cas de ce chapitre, une bonne partie de ma thèse sur les rapports entre Parole de Dieu et cultures des hommes s'en trouvait fragilisée.

Deux remarques méthodologiques : 1° lorsqu'un texte biblique fait difficulté, il faut chercher pourquoi nous ne le comprenons pas ou nous ne pouvons pas le comprendre plutôt que d'affirmer que l'auteur partageait les erreur de son temps. 2° Les propos de Paul ne peuvent être juxtaposés. Ils doivent être interprété dans le contexte historique et littéraire dans lequel les épîtres nous les ont transmis. 

J'étais bel et bien en panne quand Evelyne, mon épouse m'a fait découvrir un article de la Revue Esprit dans lequel Caroline ELIACHEFF s'entretient avec Françoise HÉRITIER. De ces propos apparemment à cent lieues de Saint Paul, m'est apparu un point de vue nouveau qui éclaire les affirmations de Paul en 1 Corinthiens 11, les origines du machisme et « last but not least », le rapport entre le machisme et le contrôle des naissances !

Le raisonnement de Paul

Commençons par constater que Paul n’utilise pas les mêmes références théologiques selon qu’il traite de la place et de la tenue de la femme dans le culte et lorsqu’il définit sa place dans le couple. Il nous semble que Paul décrit la place respective de l’homme et de la femme dans trois perspectives distinctes : pour le salut, il n’y a ni homme ni femme ; dans l’exercice du culte, la place de chacun doit être marquée symboliquement par la tenue et le rôle joué par chacun ; dans le couple, la relation époux/épouse proclame la seigneurie du Christ qui se donne pour son Église. Mais voyons les choses de plus près.

Les références à Genèse 2 sont données pour le culte (1 Co 11 et 1 Tm 2.11-13). Le souci de Paul pour le culte consiste à reconnaître l’intention du Créateur pour l’humanité et à l’exprimer par la place et la tenue de chacun. Or, Genèse 2 décrit un scénario qui dissocie la création de l’homme et de la femme pour mieux expliciter leur vocation respective en même temps que leur rapport à Dieu.

Alors que pour de nombreuses cultures l’homme vient de la femme, pour Genèse 2, Adam est créé le premier. Ainsi reçoit-il la vocation culturelle : nommer les autres êtres vivants, cultiver et garder le jardin. Toutes ces tâches, préparent l'arrivée de la femme. Il ne manque plus qu'elle, c'est pourquoi le Créateur déclare : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2.18) et sans transition : « je lui ferai un ezer[3] qui soit son vis-à-vis. » Semblable, mais différent, de la même nature (os de mes os, chair de ma chair), mais pas identique. Paul fait de ce récit une lecture qui met en relief la dissymétrie entre l'homme et la femme. Les deux êtres ont une même dignité. Jamais l'apôtre ne laisse entendre que la femme n'aurait pas les mêmes capacités que l'homme ou lui serait inférieure[4]. C'est autre chose qui est jeu : l’homme et la femme ne sont pas interchangeables[5], ou pour le dire en langage* sociologique, ils sont appelés à jouer des rôles différents ou, s'ils doivent jouer le même rôle, ils le joueront différemment.

Pour Paul, on ne peut célébrer un culte en négligeant ou en gommant cet ordre symbolique. Le premier acte d’adoration ne devrait-il pas consister en un acte de reconnaissance (dans les deux sens du terme) de la place que Dieu donne à ses créatures ? Malheureusement, la mise en oeuvre des directives de Paul n’a trop souvent été exprimée que par un respect légaliste de symboles mal compris voire pas compris du tout. Les hommes n'ont retenu que les restrictions formulées dans et pour des contextes culturels limités dans l'espace et dans le temps. Il est vrai qu'on ne sait pas tout ce qu'on voudrait savoir sur ces arrière-plans. Cependant, on en sait assez pour pouvoir dire qu'une fausse conception de la liberté menaçait la communauté de Corinthe et qu'à Éphèse, où travaille Timothée à qui Paul écrit, un féminisme outrancier lié au culte de la célèbre Diane des Éphésiens (Ac 19) contraignait les femmes chrétiennes à une grande retenue pour qu'il n'y ait pas de confusion[6]. Dans un cas comme dans l'autre, l'ordre du culte devait exprimer la différence entre ces fausses conceptions et celles qui découlent de l'ordre voulu par Dieu.

Donc, l'Église est bien le lieu de la proclamation de l'Évangile de liberté. Mais alors que le culte constitue une anticipation du royaume où il n'y aura plus « ni homme ni femme » (Ga 3.28), parce qu’il est célébré en ce bas monde, il ne peut être un lieu de désordre ou de confusion. On y entre donc et on y vit dans le cadre de l'éducation* reçue en mettant en valeur le meilleur de la culture dont on fait partie, non pour attirer l'attention sur soi mais pour glorifier le Seigneur (1 Co 10.31). On y vient donc avec les vêtements qu'on porte habituellement. La seule présence de femmes dans l'Église disait son égale dignité, car habituellement elles n'étaient pas admises dans les lieux publics.

L'apôtre Paul ordonne de respecter des règles conformes aux habitudes sociales en vigueur. Il explique que la différence de tenue reflète quelque chose de l'ordre établi à la création (7-9) : il faut qu'un homme porte les signes distinctifs que la culture reconnaît à l'homme et la femme ceux par lesquels la culture en vigueur l'identifie en tant que femme. Malheureusement le verset 10 a souvent été mal traduit et le sens de tout le passage s'en est trouvé modifié[7]. Le principe qui doit être respecté aussi bien par la coiffure que par le vêtement, c’est qu’en Christ le projet du créateur est restauré : « L'homme n'est pas sans la femme, ni la femme sans l'homme » (11). Faut-il insister sur l'actualité de l'affirmation d'un tel principe ? Cette affirmation a souvent été perçue comme si Paul voulait corriger les clauses précédentes, voire justifier bibliquement mais à tort, les restrictions qu'il préconisait[8]. Avant d’interpréter comme une faiblesse de Paul, une déclaration qui nous dérange, il serait plus sage de confesser ne pas la comprendre. Mais, est-elle si hermétique que cela ?

L'exposé de Paul est embarrassant en raison même de sa clarté ! La dissymétrie est soulignée, elle fait partie de la structure de la doctrine. On ne peut l’escamoter !

L'homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l'image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l'homme. Car ce n'est pas l'homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme. Et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête une marque d'autorité, à cause des anges. Pourtant, la femme est inséparable de l'homme et l'homme de la femme, devant le Seigneur. Car si la femme a été tirée de l'homme, l'homme naît de la femme et tout vient de Dieu.. (1 Co 11.7-12).

La dernière affirmation : « Car si la femme a été tirée de l'homme, l'homme naît de la femme et tout vient de Dieu. » est sans doute la plus « soft » du passage ! Une simple évidence, un rappel qui adoucirait les angles de la première partie du texte ? Et s’il en était la clé ?

            L'anthropologue Françoise HÉRITIER a beaucoup travaillé la question des rapports homme/femme. Elle a montré que « les femmes sont dépositaires d'un pouvoir que les hommes leur envient, car essentiel à la continuité du groupe, celui de mettre au monde des enfants. »[9] Le « privilège exorbitant de la féminité » déséquilibre ce qu’elle appelle « la valence différentielle des sexes ».

« La valence différentielle des sexes traduit la place différente qui est faite universellement aux deux sexes sur une table des valeurs, et signe la dominance du principe masculin sur le principe féminin. Le rapport homme/femme est construit sur le même modèle que le rapport parents/enfants, que le rapport aîné/cadet, et plus généralement, que le rapport antérieur/postérieur, l'antériorité signifiant la supériorité. Cette série d'équivalences est universellement admise. Il n'y a, à ma connaissance,  déclare Françoise HÉRITIER,  aucune société, même matrilinéaire, qui agisse en retournant ces équations ou simplement en niant leur existence. »[10]

Constatant qu’il a absolument besoin de la femme pour se reproduire, l’homme va faire d’elle sa propriété ![11] Il faut attendre l’invention de méthodes contraceptives contrôlées par la femme pour assister à sa libération de la domination masculine. C’est probablement une des révolutions culturelles les plus spectaculaire qui ait jamais eu lieu.

« La grande révolution de notre époque n'est pas nécessairement la conquête spatiale. C'est bien plutôt la conquête par les femmes en Occident d'un statut de personnes autonomes juridiquement reconnu qui leur était jusqu'alors dénié. À mes yeux, le pivot de cette conquête est le droit à disposer d'elles-mêmes que leur donne la contraception par la maîtrise remise entre leurs mains de leur fécondité. Grâce à la contraception, la femme devient maîtresse de son corps et n'est plus considérée comme une simple ressource ; elle use de son libre arbitre en matière de fécondité, y compris dans le choix du conjoint, le choix du nombre d'enfants qu'elle souhaite et du moment où elle les souhaite. Elle peut ainsi mettre fin à un système de domination qui consistait à l'utiliser pour faire des enfants. »[12]

Mais ce n’est pas tout et c’est là que, sans le savoir, elle rejoint Paul : « non seulement les femmes sont capables de produire leur semblable, c'est-à-dire des filles, mais également d'enfanter leur différent, c'est-à-dire des garçons »[13]. Des mythes expliquent qu'il n'en était pas ainsi lorsque les hommes et les femmes vivaient séparés ; les hommes engendrant des fils et les femmes des filles. Mais à cause d'une faute, les hommes ont été punis plus sévèrement que les femmes et ils ont perdu leur pouvoir de se reproduire directement[14]. Parce que la capacité d'enfanter a souvent conduit à enfermer la femme dans sa maternité, la culture moderne qui a découvert depuis peu le moyen d’échapper à cette condition, a tendance à faire un amalgame et à considérer comme une servitude ce qui constitue en réalité « un privilège exorbitant ». Quant à sa capacité de reproduire du « non identique » et que l’homme soit obligé de passer par elle pour avoir des fils, on ne sait plus trop quoi faire de cette question. Elle ressurgit de temps en temps sous la forme du phantasme de « l’homme enceint » qui a été pris pour thème par le cinéma[15].

Cette double capacité féminine, ce « privilège exorbitant », expliquerait le comportement masculin universel à l’égard de la femme : dans l’incapacité de se passer d’elle, la seule possibilité qui lui reste consisterait à en faire sa chose. Tant qu’il restera maître de la fécondité de la femme, le système pourra perdurer. Historiquement, la libération de la femme coïncide effectivement avec l’invention des méthodes de contraception qui échappent au contrôle de l’homme[16].

Les affirmations de Paul qui font problème s’articulent précisément autour de la faculté de la femme de donner naissance à des fils. « l'homme naît de la femme ». On ne peut considérer cette affirmation comme une simple évidence. Paul est trop rigoureux et son langage trop concis pour laisser passer des propositions inutiles. La nécessité pour l’homme de devoir passer par la femme pour se reproduire est bel et bien le fait significatif mis en valeur par Françoise HÉRITIER. Mais si la démonstration s’arrête là pour l’anthropologue, elle va plus loin pour Paul le théologien qui ajoute : « et tout vient de Dieu ». Autrement dit, le rapport asymétrique entre l’homme et la femme n’a de sens que dans la foi au Créateur. Hors de lui, il ne peut y avoir que tyrannie.

C’est exactement ce que dit Genèse 3. « [Dieu] dit à la femme: "Je ferai qu'enceinte, tu sois dans de grandes souffrances; c'est péniblement que tu enfanteras des fils. Ton désir te poussera vers ton homme et lui te dominera." » (3.16). Le sens de la première partie est difficile à établir[17]. La dernière partie par contre est limpide et décrit bien la condition féminine sous l’économie du péché.

L’Évangile libérateur restaure la femme dans la condition d’avant la chute : l’homme et la femme se retrouvent face à leur Créateur et le culte qu’ils lui rendent doit représenter cette relation retrouvée. L’homme peut de nouveau être l’image de Dieu pour la femme et donner le meilleur de lui-même pour lui faire une place. Si la femme néglige les signes de sa féminité (1 Co 11) ou bien si elle se met en situation de prendre de force ce qui revient à l’homme de lui donner, le culte perd son sens[18]. Mais si l'homme ne donne pas à la femme sa place, le culte perd également sons sens.

C’est en effet pour l’homme un acte de reconnaissance que de donner une place à la femme jusque dans le culte. Ainsi, les prétendues contradictions de Paul, à savoir que d’un côté il interdise à la femme de prendre la parole dans l’assemblée et que de l’autre il mentionne des femmes qui prient ou prophétisent disparaissent. La dissymétrie qui semblait reléguer la femme au second plan, constitue en réalité un levier qui permet à l’homme de mieux la mettre en valeur !

Le privilège masculin d’être la gloire de Dieu rétablit l’équilibre de « la valence différentielle des sexes ». Mais le souci de Paul va plus loin que le simple rétablissement de cet équilibre. H. BLOCHER fait remarquer :

«  Si l'apôtre Paul ajoute : "l'homme est l'image et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l'homme" (1 Co 11. 7), c'est le fruit de sa réflexion sur l'ordre ; il n'enlève pas à la femme, comme être humain, la gloire d'être en image de Dieu, mais il observe que dans la relation des sexes, le privilège d'autorité, représentation de Dieu, se trouve du côté masculin. Il y a, pourrions-nous commenter, comme un subtil équilibre. Dans tous les rapports terrestres, l'homme représente Dieu plus évidemment que ne le fait la femme : dans la transcendance active, la distanciation objective, la domination, le travail. Mais du coup, c'est la femme qui représente le mieux l'humanité dans le rapport avec Dieu : vis-à-vis du SEIGNEUR, tout être humain doit accepter, mâle ou femelle, une situation féminine, être de lui et pour lui, recevoir et porter la semence de sa parole, recevoir et porter le nom qu'il donne ; les trois choses qui demeurent, la foi, l'espérance et l'amour (1 Co 13.13), n'ont-elles pas comme un parfum féminin ? Le Créateur a bien pesé les avantages respectifs du masculin et du féminin ; la balance est moins inégale qu'on croit ; chacun, homme et femme, vit plus aisément une dimension de la part humaine, être en image de Dieu : le représenter, et lui correspondre. »[19]

À partir de cette dissymétrie fondatrice, il nous semble que le rapport homme/femme face à Dieu peut être qualifié par trois adjectifs.

C’est d’abord et cela convient au culte, un rapport initiatique. L’expression appartient au vocabulaire religieux. Elle évoque l’initiation au mystère. L’incommensurable dissymétrie du rapport Créateur/créature trouve là un reflet : la lumière de Dieu est comme irisée quand elle passe dans le prisme du couple. Le rôle de père prolongera celui d’époux, celui de mère met en oeuvre la procréation dont Genèse 5.1 reflète la création de 1.27-28.

C’est ensuite un rapport éthique. La relation homme/femme est prise entre les feux du possible et ceux du souhaitable. Le théorème éthique* veut que, tout ce qui est possible n’étant pas souhaitable et que tout ce qui est souhaitable n’étant pas possible, la démarche de l’éthique consiste à trouver le point d’intersection entre ces deux lignes. L’ordre donné à l’homme de s’attacher à sa femme et le septième commandement déterminent l’intersection entre le possible et le souhaitable. Les cultures qui devront s’élaborer en dehors de la révélation biblique essaieront d’autres combinaisons. On sait ce qu’elles donnent. Mais il ne s’agit pas seulement du rapport conjugal, c’est toute la société qui est traversée par le masculin et le féminin qui peuvent s’opposer, se concurrencer ou s’harmoniser.

C’est enfin, un rapport esthétique. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’un « beau couple ». Exaltée par la danse sur glace ou confrontée aux épreuves de la vie quotidienne, la complémentarité homme/femme produit les effets qui sont parmi les plus beaux à voir. Chacun donnant à l’autre le meilleur de soi-même, chacun allant au devant des besoins de l’autre, ne se séparant que pour mieux se retrouver, l’homme et la femme en couple sont vraiment image de Dieu. Là aussi, il n’y a pas que le couple. La mixité dans le travail et la vie sociale constitue une composante dont on ne s’aperçoit quelquefois que lorsqu’elle vient à faire défaut !

L’exposé paulinien constitue en outre un exemple du lien qui relie vision du monde et mode d’organisation sociale. Célébrée dans le culte, la vision biblique du monde doit se traduire dans les relations que les hommes et les femmes qui rendent un culte au Créateur entretiennent entre eux. Même leur tenue, donc les codes vestimentaires, doivent en refléter quelque chose.

Le rapport conjugal. Toute la démonstration de Paul est basée sur le rapport du corps et de la tête d’une part, du Christ et de l’Église de l’autre (Ep 6). L’image du corps et de la tête implique une subordination équivalente à celle qui ressort de la référence à Genèse 2 dans 1 Corinthiens 11[20]. Mais si le développement de la pensée part bien de la soumission, l’image de la tête et du corps illustre surtout l’unité organique du couple. Le privilège masculin, dans Éphésiens 5, consiste à représenter le Christ qui se donne pour son Église. La soumission de la femme, dans cette perspective, constitue la transfiguration de l’attitude exigée par la culture de l’époque pour que la relation époux/épouse soit porteuse d’Évangile. Comme pour la vision du monde, Paul part de la culture telle qu’elle est, de son langage et de ses coutumes. À l’Évangile, tel un levain dans la pâte, de transformer la culture. Mais, la référence à l’ordre culturel ne va pas de soi. On ne comprend pas toujours l’ordre qui régnait au temps des apôtres. Examinons-le de plus près.

Reste le rapport au salut, c'est l'affirmation de Galates 3,28 qui le définit : il n'y a plus ni homme ni femme.

 

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[1]     Le signe de la femme, Le cerf, 1995. Voir note de Rolande FAURE

[2]     Éditions LLB, 2001.

[3]              Traduit par aide, le mot disqualifie la femme. Dans l’AT, ezer a plus souvent le sens de secours comme dans le Ps 121.1 et 15 fois sur 21, il se rapporte à Dieu. (H. BLOCHER, Révélation des origines, Lausanne : Presses Bibliques Universitaires, 19791979, p. 98.)

[4]              Pierre en fait un être plus faible (1 P 3.7), nous préférons suivre MAILLOT et traduire l'expression grecque par fragile ou délicat, « poterie » ou «  porcelaine », suggère-t-il (1990, p. 155).

[5]              Comme Françoise GIROUD le préconisait, il vaudrait mieux parler d’équivalence que d’égalité

[6]              Ces textes évoquent des situations ou des problèmes que nous connaissons mal. Ainsi est-il pour le moins imprudent d'invoquer 1 Timothée 2.11-15 pour bâtir une règle valable aujourd'hui. La traduction de ce passage est difficile. La solution offerte par la Bible du Semeur écarte la difficulté du salut « en devenant mère » (Colombe) ou « par sa maternité » (TOB et français courant). Le contexte qui renvoie à Eve valide le choix du Semeur : « par sa descendance ». Sur le silence de la femme et l'interdiction « de prendre autorité sur l'homme », ce passage vise sans doute une déviation propre à la ville d'Éphèse. Alfred KUEN expose les dangers qui menaçaient l’Église (La femme dans l'Église, St Légier : Emmaüs, 1994. pp. 176-185).

[7]               « C'est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l'autorité dont elle dépend » (Colombe), « une marque de dépendance  » (TOB). Or le texte dit : « une marque de son autorité ». La tenue des femmes n’est donc pas une marque de sujétion au père ou au mari, mais une marque de la place qu’elle occupe en tant que femme. La traduction du Semeur déclare donc à juste titre : « Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de son autorité à cause des anges ». La mention des anges montre peut-être que pour Paul aussi, le culte est une anticipation du royaume. L’autre sens possible consiste à prendre le mot dans le sens de messager. Il s’agirait alors des prédicateurs qui pourraient être dérangés par l’absence de voile.

[8]              Alphonse MAILLOT, Marie, ma soeur, étude sur la femme dans le Nouveau Testament, Paris : Letouzey & Ané, 1990, à la suite d’autres commentateurs, pense qu'il s'agit surtout de faire taire des femmes qui, manquant de maturité, bavardaient et troublaient le culte (1991, p. 122). Cette explication répond à une partie du problème, mais ne permet pas de comprendre les références à Genèse 2. Pour le même commentateur, la justification scripturaire de la place de la femme a été « sa plus grande erreur » (1990, p. 138).

[9]              Caroline ELIACHEFF, « Privilège de la féminité et domination masculine, Entretien avec Françoise HÉRITIER » in Esprit, mars avril 2001,  p. 78.

[10]             Cité par Caroline ELIACHEFF, p. 81.

[11]             Nous verrons les choses plus en détail lorsque nous en viendrons aux textes bibliques au chapitre 12.

[12]             Ibid., pp. 89-90.

[13]               Caroline ELIACHEFF, p. 82.

[14]             Ibid.

[15]             Notamment avec le film Junior de Ivan REITMAN.

[16]             Pour plus de détails, voir notre Famille, points de repère, (pp. 71-96).

[17]             Les traductions qui doivent bien donner un sens ont opté pour l’augmentation de la souffrance, mais le texte dit simplement : « J’augmenterai ta grossesse ». Il peut effectivement s’agir de souffrance, mais il pourrait aussi s’agir de la difficulté de maîtriser les naissances.

[18]             Ce rapport homme/femme n’est pas sans lien avec l’expression de Philipiens 2.6 « lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu. ». Faut-il préciser qu’il n’est possible et n’a de sens qu’en Christ !

[19]             H. BLOCHER, p. 99.

[20]             Nous ne prenons pas en compte la thèse qui se base sur la traduction du mot képhalè par source ou origine. D’une part, elle a été réfutée sur le plan linguistique,  d’autre part le sens premier de tête nous semble être le seul qui puisse être retenu dans le contexte qui développe la métaphore du corps.