INTERVENTION : EDUCATION  A LA VIE ,   LYON 9 / 12/ 2004

 

Un exemple de prévention du SIDA par éducation de la personne

 

INTRODUCTION : Qui parle ? D’où parle-t-il ?

 

Je suis missionnaire d’Afrique,  j’ai passé pratiquement toute ma vie en Afrique de l’Est, je ne dirais pas que j’y ai travaillé mais que j’y ai vécu, en symbiose avec mes frères et mes sœurs africaines, les aimant, partageant leurs espoirs et leurs pleurs, leurs joies aussi et d’une certaine manière leurs façons de penser : leur langue, le swahili, est devenue ma langue d’adoption  En 1992 on m’a demandé de fonder un Centre Pastoral du SIDA, à Dar es Salaam, capitale de la Tanzanie,  un centre médical et d’accompagnement. Je l’ai donc fondé et m’en suis occupé de 1992  à 1997 avant de passer la main à des personnes qui avaient des compétences plus professionnelles. Depuis, le Centre n’a cessé de s’agrandir : durant le seul premier semestre de l’an dernier ils ont soigné plus de 2000 nouveaux cas, fait passer environ 6000 tests du SIDA et offrent une assistance régulière aux familles de près de 1000 orphelins, du SIDA .En 94 nous avions ouvert un volet prévention, tâche à laquelle  je me suis donné à plein temps après m’être retiré du centre de soins. Depuis  2002, de retour en France, je travaille au niveau du continent africain , en lien  avec une équipe d’Africains. Nous donnons des formations sur place en Afrique et nous avons un site Internet qui relie plus de 20 pays d’Afrique subsaharienne ( sur 48 ) où des éducateurs travaillent dans le même esprit. Pays dont 44 % de la population a moins de 15 ans. C’est dire l’urgence.

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I : Historique et Evaluation quantitative de la méthode

 

Pour nous situer il nous faut remonter à l’historique de la prévention du SIDA 

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Les interventions visant à stopper l’expansion du VIH à travers le monde sont  variées, aussi diverses que les idéologies de ceux qui les promettent et les cultures des pays où elles se développent. D’où une pluralité de stratégies de prévention et de nombreuses études des attitudes sexuelles qui demeurent l’objectif premier des efforts de prévention du SIDA au plan mondial. Même si, bien sûr,  il y a d’autres modes de transmission que nous connaissons tous : transfusions sanguines, transmission mère-enfant etc…

Ainsi la première vague de prévention fut basée, et le reste très largement , sur l’information, selon l’hypothèse qu’une information correcte sur la transmission du virus et sur la prévention conduira à un changement de comportement : rôle massif des médias, des affiches et des sessions destinées à faire passer le message. Tout cela était nécessaire. Cependant, comme il en arrive avec tous les programmes de santé publique, les années passant il est devenu évident que ni l’information seule, ni la peur, ne suffisent pour amener une personne à changer son mode de vie. Il y faut plus. Comme le dit Todorov :: « la morale et la politique sont conduites par la volonté, non par la connaissance …le savoir peut éclairer la volonté, il ne saurait lui dicter ses décisions »[1]

En même temps est apparue sur le marché une arrivée massive des préservatifs mais qui dans le contexte africain n’a pas donné les résultats escomptés, ceci pour de multiples raisons : culturelles, géographiques, économiques sur lesquelles je n’ai pas l’intention de m’attarder ici.

Il y a eu et il y a encore l’approche individuelle psychosociale visant à informer le sujet sur des techniques de comportement pratiques, les CVC ( Compétences de Vie Courante –Life Skills) dont on a beaucoup parlé au dernier  Forum Panafricain de la Jeunesse tenu à Dakar, fin Mars de cette année, à l’initiative du Mouvement Scout Mondial.. Nous allons y revenir, elles sont toujours utiles comme complément psychologique de formation des jeunes dans la société d’aujourd’hui.

Pourtant, pour arriver à des résultats tangibles, il  fallait plus. Que  manquait-il donc ? Peut-être était-ce un intérêt manifesté à la personne du jeune concerné, cette personne dans son entier. Une méthode fut découverte qui a révolutionné la prévention et permis enfin d’arriver à des résultats tangibles, mesurables et mesurés, reconnus par ONUSIDA .  Un regard à la découverte de cette méthode va nous éclairer.

 

Historique de l’Education pour la Vie

 

Premier acte : Laissons-nous rêver, imaginer : nous sommes, en Ouganda, au bord du Lac Victoria, un pays verdoyant grâce à 2 saisons des pluies par an, couvert de bananeraies, qui donnent les meilleures purées de bananes plantains connues au monde, mais hélas ce beau pays est alors –nous sommes en  1988 - l’un des plus touchés par le SIDA : 15 % au moins de sa population sexuellement active. A Kalungu, sur la rive Ouest du Lac, le Docteur Kay Lawlor qui est religieuse dans l’Ordre des Medical Missionaries of Mary (Missionnaires médicales de Marie), et spécialisée dans les thérapies de dépendance de l’alcool et de la drogue, a l’habitude de passer dans les écoles secondaires pour y donner une information sur le SIDA, statistiques  à l’appui, toutes plus décourageantes les unes que les autres. Kay propose une information pour les nouveaux étudiants. Mais, « trop c’est trop », la Directrice de l’école l’arrête net : « Vos causeries sur le SIDA , j’en ai assez, elles me sortent par les oreilles . Vous autres vous venez ici et vous nous dites comment cela se transmet et la vitesse à laquelle le mal se répand et chaque fois vos statistiques empirent ! Mais personne ne nous aide à l’arrêter !» Kay raconte : « Cela m’a fait un coup et je me suis mise sur la défensive : « On ne peut pas l’arrêter si les gens eux-mêmes ne changent pas de comportement ! » - « Eh bien, alors, aidez les à le faire ! »- « J’ai quitté l’école avec ces mots qui me résonnaient dans les oreilles ».

Après plusieurs jours de réflexion je réalisai que c’était vrai, que nos programmes n’étaient pas efficaces. C’est alors que je décidai d’essayer de résoudre le dilemme en appliquant la méthode d’accompagnement que j’utilisais dans le département d’accompagnement thérapeutique de notre hôpital de Kitovu. Il s’agit d’une  méthode destinée à la résolution des problèmes et d’une approche orientée vers l’action,  basée sur le modèle du « Skilled  helper » (« L’accompagnateur qualifié »), de Gérard Egan. Une des facettes clés de ce modèle est l’évaluation continue du processus de changement ».

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Deuxième acte : La Conférence Panafricaine de Dakar en Décembre 1991.

L’ONU et CAFOD (la Caritas anglaise) avaient demandé que, en préalable à la Conférence , se réunisse un atelier de réflexion sur la prévention du SIDA.. Cet atelier s’est tenu en effet, composé de représentants des différentes Eglises et de plusieurs pays, portant sur la

stratégie la meilleure et la plus efficace dans la lutte contre l’expansion du VIH/SIDA. Après quatre jours de débats et de partages d’expériences ils rédigèrent la Déclaration de Convictions suivante :

 

 

 

 

 

Zone de Texte:  «  Nous croyons que les individus et des communautés tout entières ont en eux la capacité de changer leurs attitudes et leurs comportements. Le pouvoir de mettre en œuvre cette capacité est souvent dénié ou n’est pas exercé.
Cette capacité doit désormais être reconnue, mise au premier plan et soutenue,  à la fois dans la personne et dans  son entourage. Cela permettra aux personnes de mettre en œuvre et de durer dans  des types de comportement qui promeuvent la santé de l’état mental, physique, spirituel et social. Un élément décisif de cette dynamique est d’offrir leur soutien aux personnes de la société vivant avec le VIH.
	Nous reconnaissons que le changement de comportement, exercé tant au plan individuel que communautaire, dans  la pandémie actuelle du VIH , est un processus complexe et  requérant continuité. Il est inextricablement lié à des valeurs humaines de base telles que l’attention à l’autre, l’amour, la foi, la famille et l’amitié, le respect pour les personnes et les cultures, la solidarité et le soutien.
La pandémie actuelle affecte tout le monde. Notre expérience de personnes affectées et infectées prouve que le changement de comportement est possible. Nous croyons que le changement de comportement est la stratégie la plus essentielle pour vaincre la pandémie du VIH. »
Déclaration de convictions qui fut  proposée par le groupe à la Conférence Panafricaine qui suivait, mais celle-ci n’adopta pas la motion en assemblée générale.

 

Troisième acte :

Ce n’était pas pour autant la fin de l’aventure, les Docteurs Kay et Miriam, - Miriam est chirurgienne et également religieuse, - décident de vérifier la théorie par les faits. Elles vont relever le défi sur le terrain. De retour en Ouganda et avec l’appui de jeunes Ougandais, prêts à témoigner de la possibilité d’un tel style de vie, tous mettent en forme un programme : « l’Education pour la vie » qui n’est autre qu’une dynamique de changement de comportement adaptée aux jeunes Ougandais dans le contexte du SIDA. Elle comporte une éducation affective et sexuelle, ouverte à la fois aux problèmes d’aujourd’hui, donc au SIDA et aux valeurs  gardées par les différentes convictions religieuses Chrétiennes et Musulmanes. Une approche holistique de la personne du jeune.

 

Cette pédagogie est offerte à ceux/celles qui le désirent à travers des sessions d’Education pour la vie, souvent appelées en Afrique (on n’a pas de complexes !) séminaires de changement de comportement. Ces sessions comportent en gros trois étapes fondamentales réparties sur quelques cinq ou six jours résidentiels, lorsque le programme est donné au complet :

-         1ère étape : A quoi ressemble notre vie, notre vie sexuelle, dans nos quartiers, nos  familles  Puis information sur le SIDA,  le préservatif…L’éducateur doit aux jeunes la pleine vérité : des études scientifiques récentes, économiquement et politiquement libres et indépendantes, donnent un taux de préservation de 80% dans les meilleurs cas. C’est un devoir pour l’éducateur de le dire : il y va de la vie des jeunes.

 

-         2éme étape :Où notre style de  vie actuel nous mène-t-il ? Qu’arrivera-t-il si rien ne change ? Collectivement (dessins etc.) et moi là dedans ? Quel est mon projet de vie ? Suis-je en route pour le réaliser ?

Je me laisse rêver à mon projet d’avenir : mes désirs, mais aussi mon impuissance me reviennent en mémoire : «  ce serait bien, mais je ne peux pas ! ».Ici commence à proprement parler l’œuvre d’éducation : « Es-tu si sûr que tu ne peux pas te contrôler ? Qui t’en a persuadé, te connais-tu vraiment avec toutes tes capacités ( rôle ici des CVC : Compétences de Vie Courante, incluant confiance en soi etc. Qu’est-ce que j’ai réussi dans ma vie ? Qu’est ce que j’ai raté ? pourquoi ?)Cette étape comporte aussi des témoignages de jeunes qui ont changé, disent leur liberté nouvelle, leur dynamisme décuplé…

 

-         3ème étape : Moi aussi j’aimerais changer. Pourquoi ne pas essayer ?

-si j’essaie, quels seront mes obstacles ? (copains, liaisons, habitudes etc.)

-quels seront mes alliés ? famille,  prière, désir de réussir ma vie,nouveaux amis.

- je me décide

Toute cette dynamique est animée par des jeunes eux-mêmes, accompagnée de chants, assaisonnée de jeux de rôles portant sur l’amour vrai, la vie des jeunes etc.mais aussi les valeurs propres à la religion de chacun.

 

C’était la réponse de Kay aux étudiants de Kalungu : «  Mais comment pouvons nous changer de comportement ? »  Beaucoup décidèrent d’essayer.

« Cependant », c’est Miriam qui parle, « après quelque temps il devint clair que pour un certain nombre la session d’Education pour la vie ne suffisait pas. Les jeunes avaient besoin de quelque chose de plus : d’une formation permanente et d’un lieu d’appartenance ».

 

Quatrième acte : Ce fut le Youth Alive Club ( Club Jeunesse Vivante) association de ceux/celles qui avaient opté pour un nouveau style de vie.

Ce club est l’occasion de vivre une amitié et un soutien mutuels, une participation aussi aux campagnes de la société civile contre le SIDA, une diffusion du programme dans les écoles et les groupes sociaux.

C’est ainsi que le Club s’est développé dans tout l’Ouganda. Le programme d’Education pour la vie fut d’abord introduit dans un nombre croissant d’écoles secondaires et de paroisses, puis adopté et adapté  dans les écoles primaires.

Il faut dire que la méthode jouissait du soutien moral du Gouvernement : Mme Janet Museveni était amie de Dr Miriam et le Président Museveni  avait lui-même pris des mesures dans ce sens dans l’armée et  les différents ministères.

Comme les Ougandais eux-mêmes l’expriment : « tout le monde s’y est mis » : Gouvernement, Institutions Chrétiennes et Musulmanes, ONG. Ce fut ce qu’ils ont dénommé : « l’approche multisectorielle  pour combattre le SIDA », la MACA : « Multisectorial Approach to combat AIDS » . Comme le disent encore les Ougandais : « Dans les premiers temps aucune fonction publique, discours ou sermon n’était tenu sans donner d’information sur le VIH/SIDA… :tout l’accent était orienté vers la diminution du nombre des partenaires sexuels, la promotion d’un mode de vie responsable : personne alors ne pouvait nier que la maladie était en passe de devenir une épidémie » (Bulletin du secrétariat catholique, Kampala)

Et puis un contact régulier avec les personnes déjà atteintes : soulagement pour elles,  remise en mémoire pour les visiteurs : « Plusieurs facteurs clés entrèrent en jeu simultanément dans le même combat, chacun y apportant sa contribution avec et selon ses propres valeurs, croyances et convictions »

 

Ainsi vit-on peu à peu l’incroyable se produire. A partir de 1999  les taux de séropositivité commencèrent à baisser : de 14 % en 1990 on en était à 9,6 % fin 1997

                        à  8,3 % fin 99 et à 5 % fin 2001. On parle de 4.1 fin 2003 (ce chiffre étant à vérifier après résultats du prochain recensement.) Il s’agit là de la population considérée comme  « sexuellement active » , c'est-à-dire de 15 à 49 ans). Les chiffres sont d’ONUSIDA.

 

Et ailleurs ?

Il est certain que là où il n’y a pas eu volonté politique claire les taux ont moins bougé. Tout de même dans plusieurs pays on arrive à contenir le taux de séroprévalence.

A noter le cas du Sénégal : bons résultats, qui se confirment : dernièrement 0.80 % .Là aussi on les attribue à un coordination des efforts de santé et  à une certaine tenue des moeurs familiales, y compris le comportement  « sérieux » de nombreuses jeunes étudiantes ( cf.. ONUSIDA).

Les Africains s’intéressent-ils à cette dynamique ? Là encore les faits sont là : à Dar es Salaam par exemple nous avons plusieurs centaines de jeunes qui ont fait le pas, ou un pas et rejoint le Club et de toute la Tanzanie on demande des « séminaires de changement de comportement ». Et il en est de même dans beaucoup de pays d’Afrique comme en témoignent les contacts avec le site  Internet mentionnés tout à l’heure.

 

II. Evaluation qualitative

 

Essayons d’approcher la pédagogie elle-même : son anthropologie.

 

D’abord on découvre que ce sont les éducateurs qui les premiers apprécient cette approche.

 

La différence avec les autres méthodes de prévention est que la nouvelle dynamique s’intéresse à toute la personne du jeune. Elle est résolument, avec lui, « de son côté »et cela de façon suivie.

Les CVC mentionnées tout à l’heure (Compétences de vie courante) sont des appoints psychologiques offerts au jeune pour lui rendre confiance en lui-même ; Quatre aspects :

-         la confiance en soi retrouvée

-         comment me conduire avec les autres, éviter les traquenards de l’existence posés à un adolescent ou un jeune.

-         apprendre à décider

-         comment vivre avec ma famille aujourd’hui et préparer celle de demain.

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Du point de vue éducatif en effet ce n’est pas du tout la même chose pour un jeune de bâtir sa vie sa vie sur un constat d’échec : « bah ! puisque je ne peux pas me maîtriser…je vais me bricoler une solution provisoire… » ou de la bâtir sur une réussite humaine : « Formidable, j’ai passé le pont ! j’ai retrouvé ma capacité de gérer ma sexualité !  et, qui plus est, en accord avec ma foi, avec le meilleur de moi-même ! » Solution qui reconstitue l’unité de la personnalité, si importante lorsque l’on sait que le grand danger pour la jeunesse actuelle est l’éclatement, l’éparpillement de la personnalité dans toutes les directions. Là on réconcilie la pensée, l’esprit et le corps.

A ceux qui nous recommandent de faire les deux à la fois : l’effort et la compromission, l’expérience pratique montre qu’on ne peut mener de front et dans le même temps, face aux mêmes personnes, deux dynamiques contradictoires. Comme on dit au Mouvement du Nid : « il ne faut pas que le conseil du court terme soit en contradiction  avec le long terme ». : ce qui reviendrait à  « tu fais cela d’abord et puis après tu feras le contraire », dans l’espoir que l’on pourra  remobiliser l’énergie plus tard…pour permettre à la personne d’accéder enfin à la liberté. On laisse passer l’occasion. En éducation cela s’appelle : démissionner de l’homme.

 

Ceci avec la compréhension des délais nécessaires notamment lors de situations telles que celles des personnes prostituées Nous n’en parlons pas ici, pas plus que de la pastorale des adultes en général et notamment des couples sérodiscordants. Notre sujet aujourd’hui concerne l’éducation des jeunes et notamment en Afrique. L’anthropologie utilisée dans l’accompagnement  des adultes ressortirait de la même anthropologie mais nécessiterait des développements qui ne sont pas de notre ressort aujourd’hui.

 

Car dans le résultat obtenu, nous revenons aux jeunes,  il y a une marge en termes humains entre la résignation à l’impossibilité à se contrôler et la capacité retrouvée d’être fidèle demain dans sa vie de couple et donc de pouvoir se faire confiance l’un à l’autre, même si une absence s’impose. Les exemples de centaines et aujourd’hui de milliers de jeunes africains nous démontrent que cela est possible, que le défi de Dakar 91  peut-être relevé, pour peu qu’on croie en eux et qu’on le leur dise. La joie et le dynamisme retrouvés de ceux qui ont essayé nous confirment que nous sommes dans la bonne voie. C’est notre point d’attache, notre phare dans la tempête.

 

Maîtriser ses pulsions est humanisant, cela tout éducateur le sait. Comme disait Jean Toulat « si la technique crée une dépendance, l’éducation mène à la liberté. » et Pascal Ide :  « la blessure (parlant  de la compulsion ) n’est pas un arrêt mais une erreur d’aiguillage . Mourir à soi, à sa compulsion, n’a de sens que si cette mort est non pas suivie mais précédée par l’espérance d’une vie. Et cette espérance devient ensuite un fruit effectif. »[2] Le jeune croit que la vie vers laquelle il tend en changeant de comportement sera plus heureuse que celle qu’il a menée jusqu’à présent.

 

Si nous en avions le temps je vous lirais des témoignages de jeunes : je les tiens à votre disposition.

 

En attendant l’union physique ils apprennent l’amour courtois, la « romance », l’éducation affective avec toutes les nuances et les gestes d’affection qui peuvent témoigner de l’intérêt, de l‘amour, sans pour autant aller jusqu’au bout. Tant de marques de tendresse qu’il leur sera utile de connaître plus tard dans une vie de couple. Délicatesses qu’ils ne connaissaient pas le plus souvent dans leur culture traditionnelle.

 Des citoyens responsables aussi pour demain car, une vertu ne va jamais sans l’autre , ce que Thomas d’ Aquin appelle « la connexion des vertus ». L’expérience le confirme.

 

Possible ? Oui, et on le constate : «  L’homme est capable de maîtriser ses pulsions, il n’en dépend pas comme d’un réflexe biologique » dit un docteur contemporain commentant Emmanuel Mounier : «   qui prend argument des fatalités de la nature pour nier les possibilités de l’homme s’abandonne à un mythe ou tente de justifier une démission »[3].

 

« Ah oui, mon Père, mais en Afrique, vous savez ! » A cela je réponds que cette réflexion est doublement injuste. D’une part elle est  raciste, l’humanité est strictement la même de part et d’autre du Sahara, d’autre part je constate que les Africains sont beaucoup plus sensibles à la présentation d’un idéal que les Européens  Occidentaux  rencontrés au XXI me siècle. Les faits sont là et si telle est votre opinion, surtout ne vous mêlez pas d’éducation des jeunes en Afrique car ce dont ils ont besoin d’abord c’est qu’on leur fasse confiance.

Parlant de culture, de quel droit interdisons nous à l’Afrique de se choisir une méthode conforme à ses idéaux  et à ses valeurs religieuses ?

Et  de quel droit impose-t-on aux  jeunes africains des méthodes concoctées pour eux par une société de consommation, parfaitement étrangère à la vie de brousse et des méthodes qui, de surcroît sont étrangement cohérentes avec certains rapports bien connus qui recommandent de diminuer par tous les moyens les populations des pays pauvres, tel le rapport Kissinger rédigé dès 1975 ?

Comment éviter dès lors, que ces gadgets, avec ou sans spermicides, ne soient perçus comme une menace venant de l’extérieur ? Alors que dans la société africaine traditionnelle l’initiation à la sexualité au cours des rites coutumiers tenait déjà compte de valeurs humaines ?

Ne nous y trompons pas : deux mondes, Augustin dirait « Deux cités » s’affrontent ici : la voie de la technique d’intervention et la voie de la connaissance et du respect de la nature, une nature qui porte les traces d’une sagesse qui nous dépasse et qu’on ne brise jamais sans risque majeur pour l’humanité : deux visions anthropologiques et morales qui se révèlent parallèles et en soi non réconciliables sur le terrain de la rationalité. Et pourtant dans l’action et la vie concrète elles doivent se révéler respectueuses l’une de l’autre, à cause de la dignité des personnes humaines qui les soutiennent, dont chacune a son parcours propre.

 

Quant aux  nouvelles générations revivifiées par l’Education pour la vie – et d’autres programmes de la même veine - l’aurore de l’ « après-SIDA » pointe à l’horizon. Pour elles, pour eux et pour leurs enfants de demain mais déjà d’aujourd’hui,  ils ont trouvé la voie et s’appliquent à la faire connaître autour d’eux.

 

 

 

Georges Marie Loire



[1] Devoirs et délices, une vie de passeur p.241

[2] Pascal Ide , Les 9 portes de l’âme p.256

[3] E.Mounier, Le personnalisme, Editions PUF 2001 , p.21